Au Togo, du biogaz pour faire cuire les repas dans les cantines scolaires

Energies
mardi, 19 octobre 2021 15:16
Au Togo, du biogaz pour faire cuire les repas dans les cantines scolaires

(Togo First) - Il est 11h15. Atmosphère chargée, un ciel d'un bleu vif, pistes rurales, impasses, ravins, puis quelques djallonkés berlants.  Au bout de deux heures de voyage, 71 km de trajet depuis Kara,  le bout du tunnel : Natchiboré. Nous sommes en pays Konkomba. Préfecture de Dankpen. Un des greniers de l’igname.  Quelques jeunes du canton mitraillent leurs hôtes du regard.  Les tableaux noirs des bâtisses qui abritent écoliers et écolières ont définitivement perdu leurs spectateurs, à l'accoutumée, dociles, studieux.

Ici, l'alliage de la verdure et une senteur au parfum naturel embaume le décor comme pour dire que ‘’Natchiboré a mis fin à la défécation à l’air libre”.

Quelques années plus tôt, on était en territoire où tout manquait. Depuis, électricité, eau potable, latrines. Binangma Binantob, le chef de ce canton enclavé dans  la région de la Kara, mesure le chemin parcouru. Le vieux flegmatique ne cache pas sa satisfaction, le visage quelque peu figé, quelque fois détourné vers les latrines et foyers améliorés à l'architecture vernaculaire, nouveau "joyau" technologique selon Waré Piyabalo Meba, Directeur de l'École Primaire Publique Natchiboré.

cour epp natchibore

Cour de l’EPP Natchiboré

 

Ces latrines éparses font désormais la fierté d'une communauté, autrefois,  confrontée au problème séculaire de la défécation à l'air libre. L'autre fierté de ces villageois, les deux latrines scolaires à biogaz qui arpentent désormais la cour de l’école. Spécial! Car ici, rien ne se perd, tout se transforme … en biogaz,  … en fertilisants… On est résolument à l'avant-garde de l’économie circulaire.

 

Donner une seconde vie au "caca"

 

A Natchiboré où les déjections humaines semblent avoir retrouvé une nouvelle vie, le combustible est acheminé par des tuyaux vers les chambres de cuisson des repas de la cantine scolaire de l’EPP principale du canton.

 

Avec une population d’environ 8 millions d’habitants, le Togo produit en moyenne 12 000 tonnes de fèces humaines par an alors que 63% de la population ne disposent pas encore de toilettes améliorées, 74% en milieu rural pratiquant la défécation à l'air libre, contre 18% en milieu urbain, selon les statistiques officielles.

C’est sur ce tableau sombre aux impacts négatifs sur la mère et l’enfant, que travaille l’Unicef depuis près d’une décennie. Ainsi, depuis fin 2013, l’institution des Nations Unies exécute, en collaboration avec le Fonds Mondial pour l’Assainissement, un programme visant la mise à l’échelle de l’approche de l’Assainissement Total Piloté par les Communautés (ATPC). Objectif :  accroître l’utilisation des latrines améliorées afin de parvenir la défécation "zéro" à l’air libre à l’horizon 2030. Vœu pieux ? En tout cas, à Natchibore et quelques autres contrées à l'intérieur du pays, le Fonds pour l’enfant a mis le pied à l'étrier.

wc biogaz

WC produisant du biogaz

 

Ainsi, dans plusieurs localités où l'initiative Togo sans défécation à l’air libre (Togo SANDAL) est déployée, l’approche a pris des allures plus intégrées, avec un système de production de gaz associé.

Concrètement, il s’agit d’un dispositif de production de biogaz qui consiste en une fosse où débouche une canalisation provenant de latrines. Les excréments humains ainsi recueillis sont mélangés ‘’éventuellement’’ avec de  la bouse de vache dans un espace anaérobique, provoquant une réaction (méthanisation) qui produit du méthane, gaz moins dangereux que le butane. Un biogaz issu de la fermentation qui peut se substituer directement au gaz naturel pour la cuisson des aliments et le chauffage,  la production de l'électricité ou carburant, etc.  

A Natchiboré où les déjections humaines semblent avoir retrouvé une nouvelle vie, le combustible est acheminé par des tuyaux vers les chambres de cuisson des repas de la cantine scolaire de l’école primaire publique (EPP) principale du canton.

"Aujourd'hui, non seulement nous réussissons à résoudre le problème de la défécation [à l’air libre, NDLR], mais également, le caca des élèves et des  villageois sert à produire du biogaz pour la cuisson des repas de notre cantine scolaire. Les mamans cantines préparent plus vite et ne se salissent plus en utilisant du bois ou du charbon.", se félicite Komi Aklessor, maître à l'EPP Natchiboré.

komi aklesso

Komi Aklesso, maître à l’EPP Natchiboré explique le dispositif de méthanisation

 

Économie solidaire

Ce modèle d'économie circulaire à l’ère du temps, en œuvre dans ce canton de Dankpen à partir de 2018,  a gagné depuis,  d’autres localités de la région du nord du Togo. Quelque quatre prototypes sont déjà déployés dans la Kara et les Savanes, notamment dans l’Oti, à Assoli,  et à Tchitchao.

Dans ce dernier canton, situé à environ 8 km de Kara, Potcholé Manzibèdong a bénéficié d’un prototype redimensionné, d’un coût de 1 million FCFA, entièrement financé par l’Unicef sur fonds propres, apprend-on.

Depuis qu’il s’est vu octroyer ce dispositif, c’est un mouvement de solidarisme qui s’est installé dans ce petit village rocailleux à quelques pâtés de Pya.

Ici, l’entourage de ce cultivateur a sa manière de participer à l’effort de production du biogaz : faire ses besoins dans le WC sanitaire estampillé Unicef,  installé depuis décembre 2019.

Comme nous ne sommes pas nombreux dans notre foyer [5 personnes, NDLR], nous ajoutons des bouses de vaches. Mais les voisins utilisent aussi le WC.’, ne manque pas de rappeler le quarantenaire.

 

Le digestat utilisé comme fertilisant

Comme à Natchiboré où le résidu solide, appelé digestat, isolé hors de la fosse est utilisé comme compost dans le jardin scolaire afin de produire du légume pour la cantine scolaire, à Tchitchao, Potcholé a vu son rendement agricole augmenter, avec des projections d’économies substantielles à terme. Aussi, dans le canton de Dankpen, cet engrais aux éléments nutritifs abondants est-il vendu dans le canton pour soutenir la cantine scolaire.

“Je suis sûr que je n'achèterais plus d'engrais pour mes champs au cours des prochaines campagnes. Pour uniquement une année d’expérimentation, l’engrais que cela nous a fourni me rapporte beaucoup !”, s’émerveille le cultivateur qui estime partager également les retombées de ce "joyau" avec ses voisins.

“Certains de mes voisins ont reçu du fumier pour aller expérimenter dans leurs champs. Cette année, les épis étaient bien gros et le rendement bien au rendez-vous. Nos rendements sont meilleurs qu’avec les engrais chimiques. »

Pour sa femme, un important gain est réalisé en temps et en énergie, grâce à l’élimination de 13 km parcourus regulièrement pour aller chercher du bois, sur les  hautes montagnes brousseuses et sauvages de la région.

“Nous coupions du bois qu’on apportait de loin, à environ 13 km d’ici. Nous utilisions 3 à 4 tricycles de bois et 2 sacs de charbon par an. Aujourd’hui, grâce au biogaz, à n’importe quelle heure, nos femmes peuvent se lever, faire le feu et cuisiner très rapidement. En plus, nous n’allons plus détruire notre environnement en coupant des arbres pour faire du bois de chauffage".

champ mais

Champ de maïs utilisant l’engrais bio issu de la latrine à biogaz à Tchitchao.

 

Une mise à l'échelle encore à ses balbutiements

 

Selon les prévisions gouvernementales, le nombre de personnes dépendant des combustibles modernes de substitution de cuisson (le GPL, le biogaz et les foyers solaires) et du solaire thermique devrait passer à 7,9 millions, soit 80 % de la population totale d’ici 2030.

 

Selon le PNUD,  “le biogaz est peut-être le Graal de l’économie circulaire par sa capacité à produire de la valeur tout en protégeant l’environnement”, réduisant à la fois l’impact des déchets organiques, la pollution des sols et des eaux, et l’émission des gaz à effet de serre.

Au Togo, on est bien conscient de ce potentiel. En perspective, à l’horizon 2030, le pays s’imagine un avenir dans le biogaz.  Dans un vieux plan d’actions plusieurs fois cité par les autorités gouvernementales, l’ambition est claire : amener la consommation du biogaz et du biocarburant à 2 % en 2020 et 8 % en 2030 dans le mix. 

Ainsi, le nombre de personnes dépendant des combustibles modernes de substitution de cuisson (le GPL, le biogaz et les foyers solaires) et du solaire thermique devrait passer à 7,9 millions, soit 80 % de la population totale dans 10 ans.  Un scénario pour le moins “optimiste”, selon plusieurs observateurs,  à la lumière de la marche encore très lente du pays.

Pour la cuisine, le biogaz est cité comme une alternative de premier plan au butane dont l’accès s’avère difficile dans les milieux ruraux en raison des conditions d’approvisionnement, du pouvoir d’achat et du faible coût du bois. Et pour le promouvoir, Lomé dit vouloir poursuivre sa politique de promotion du biogaz domestique avec l’exonération de taxes pour l’importation d’équipements liés aux énergies renouvelables. Mais pas que. Dans leur stratégie, les autorités entendent inciter les structures de microcrédits (IMF)  à financer massivement le sous-secteur. Le tout, couronné par des formations prévues en faveur des artisans locaux.

 “Les réflexions sont en cours pour pouvoir étendre ce projet pilote du biogaz. Il est notamment prévu la formation de tous les techniciens d’assainissement sur le plan national et aussi la formation des artisans maçons locaux”, a déclaré Sylvestre Tandaou,  chargé régional en suivi-évaluation WASH-ATPC.

Mais, selon les ONG opérant sur le terrain - elles qui représentent la cheville ouvrière de ces ambitions - cette politique de promotion semble avoir encore du plomb dans l’aile. “Nous nous attendons à ce que d’autres partenaires se joignent à l'initiative et à plus d’engagement au niveau central”, place un membre d’ONG à Natchiboré. Et à l’Unicef de faire l’appel de pied aux partenaires techniques et financiers (PTF).

 

biogaz cuisine

Pour la cuisine, le biogaz est cité comme une alternative de premier plan au butane en milieu rural.

 

Des initiatives ‘’éparses’’

Ces dernières années, plusieurs initiatives impliquant le biogaz ont émergé avec une accentuation des annonces depuis le début de la crise sanitaire liée à la Covid-19.

Depuis juillet 2020, il est annoncé la construction d’un laboratoire de référence en matière de recherche sur la production du biogaz à l’université de Lomé (UL) avec des partenaires allemands. Cette infrastructure est censée permettre de “tirer davantage profit du potentiel de biomasse du Togo, à travers le développement des capacités de recherche et la démonstration des technologies innovantes de fabrication du biogaz.”

Dans la même dynamique, l’entreprise canadienne Biothermica Technologies a ciblé la préfecture de Kloto, 100 km au nord-ouest de Lomé, pour un investissement subventionné par le gouvernement québécois à hauteur de près de 250 millions FCFA. Il s’agira pour la startup du pays de l’érable de monter une centrale électrique alimentée par le biogaz.

Qu’à cela ne tienne, à Natchiboré ou encore Tchitchao, l’air empuanti des défécations sauvages a fait place au fumet émanant des cantines scolaires et de la cuisine de la ménagère. Tout pour l’enfant !

Fiacre E. Kakpo

Pour nous contacter: c o n t a c t [@] t o g o f i r s t . c o m

Please publish modules in offcanvas position.