ADZOHONOU Kwami Senyo : « L’idée est de faire de la zone de Yoto, un centre de production d’ignames »

Agro
vendredi, 20 juillet 2018 14:29
ADZOHONOU Kwami Senyo : « L’idée est de faire de la zone de Yoto, un centre de production d’ignames »

(Togo First) - Cultiver de l’igname destinée à faire du foufou sur une terre inappropriée, pour un défi, c’en est un. Pour un risque, il n’y en a pas de plus grand. C’est pourtant la prouesse qu’aura réalisé ADZOHONOU Kwami Senyo.

L’idée a germé lorsque ce digne fils de Kloto, venu s’installer dans le Yoto, a cherché en vain un endroit à Tabligbo pour savourer du foufou d’igname. Impossible. Devant le foisonnement du foufou de manioc, la niche est toute trouvée. Mais devra-t-il encore se défaire des pesanteurs de la terre, du moins de ce que pensaient les autochtones.

Cinq (5) ans après, la terre n’a pas menti. Mieux encore, le résultat a été si bluffant que les Thomas d’hier, comme il aime à les appeler, s’y sont mis. Et maintenant, ces jeunes agriculteurs, la fleur de l’âge, sont à la recherche du financement du FAIEJ pour développer la culture de cette nouvelle variété d’igname qui réussit si bien à leur terre, le Senyo Yam. Le compte à rebours est lancé jusqu’à Novembre prochain où, si tout va bien, les premières recherches de semences doivent commencer.

Togo First est allé à la rencontre de cet amoureux de la terre, également apiculteur et Coordinateur de la COOP-CA-AEH (Apiculture-Environnement-Humanité). Il nous a reçu, entouré de deux de ses proches collaborateurs, LAWADA Adjo Bella et ATTIOGBE Kokou. Entretien.    

Togo First : D’où vous est venue l’idée de vous lancer sur ce projet et pourquoi avoir choisi Tabligbo ?

ADZOHONOU Senyo : A mon arrivée dans la localité en 2014, j’ai cherché en vain à manger du foufou d’igname que j’aime beaucoup. Mais il m’a été difficile, voire impossible d’en trouver. Partout, il n’y avait que du manioc. Or, étant habitué à l’igname, je n’ai pas vraiment apprécié. Donc je me suis dit qu’il faut développer la culture de ce tubercule dans la zone. J’ai approché des agriculteurs qui cultivent l’igname dans leurs champs et je leur ai expliqué qu’on ne pouvait pas en cultiver sans produire la variété qui permet de faire du foufou. Ils m’ont dit que ce n’était pas possible parce que cette variété ne réussissait pas sur leur sol.

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C’est devant cette question que je me suis dit que c’était un défi qui s’imposait à moi. Je leur ai donc dis que j’avais une technique de multiplication rapide qui permet de produire les ignames sur des billons. Cette technique permet d’avoir de grosses quantités de tubercules et cela permet aussi de produire l’igname qui fait du foufou. Bien entendu ils n’y ont pas cru.

Lors de la saison de 2016, j’ai fait la toute première production avec ma collaboratrice (LAWADA Adjo Bella, ndlr) et nous avons fait la récolte. J’ai appelé les agriculteurs et je leur ai montré les tubercules. Ils étaient extrêmement surpris lorsque je leur ai dit que je l’ai fait sur un carré de 25m sur 25. Je l’ai réalisé grâce à une variété d’ignames que j’ai apportées de Kpalimé qui s’appelle Krati.

Ils étaient donc surpris de voir à quel point cela a marché. Mais il faut reconnaitre que leur sol se dessèche vite. Toutefois, l’igname n’est pas une plante très exigeante en eau.

J’ai donc, en marge, procédé à une série de tests et j’ai eu à remarquer que leur sol est tout à fait propice à la culture de cette variété d’igname que j’ai introduite dans la zone. C’est partant de là que j’ai commencé la production.

La seconde année, j’ai distribué des semences de la variété Krati et d’une autre variété que j’ai introduite personnellement et que j’appelle Senyo Yam, à plusieurs agriculteurs pour qu’ils le fassent dans leurs champs et donc sur plusieurs sols. Le constat a été que Senyo Yam a plus réussi que Krati.

La troisième année, je suis allé sur les marchés d’Anié, de Bassar et quelques autres pour rechercher la variété que je voulais. C’est un type d’igname dont la peau semble lisse et la tête cornue. Je l’ai planté sur un peu plus d’un quart d’hectares et je l’ai encore distribué aux divers agriculteurs qui se sont intéressés au projet. Cela a encore porté ses fruits.

TF : En terme de productivité ou de rendement, est-ce-que votre technique produit plus si on la compare à la culture ordinaire qui se fait à Kpalimé ?

AS : Je suis dans ma 6ème année d’exploitation à partir de cette technique et je vous assure qu’elle produit plus. Il suffit juste de faire une comparaison. Prenez le carré de terre de 25m sur 25. Si vous faites 300 buttes, vous aurez le même nombre de tubercules. Mais avec la méthode de billons, vous pouvez avoir jusqu’à 2 400 tubercules allant de 500 grammes à 2 kg. Ces billons sont à une hauteur de 30 cm du sol pour pouvoir permettre au tubercule de puiser l’humidité du sol. J’ai initié cette méthode compte tenu du type de sol qu’il y a dans le Yoto et de la difficulté qu’ont les cultivateurs d’ici à produire de l’igname destinée à une large palette d’usage. L’avantage avec les billons est que, même lorsqu’il ne pleut pas ou que le temps n’est pas clément, les racines ne manquent pas d’humidité, les feuillages demeurent toujours verts et les tubercules restent toujours consistants.   

TF : Qu’est ce qui explique cet écart trop grand entre le nombre de tubercules générés par la technique de billons et celui des buttes ?

AS : Cela s’explique par le grand espacement qu’il y a entre les buttes. Vous pouvez avoir jusqu’à 1m voire 1m50 d’espacement. Alors qu’avec les billons, on ne laisse pratiquement pas d’espace.

Cela n’influence pas le développement des ignames. Nous avons inclus dans notre technique, un procédé d’enrichissement du sol avec le compost que nous fabriquons à base de fientes de volailles, bouse de vaches, de la cendre de bouse, de la sciure ainsi que du charbon de bois entre autres… Nous appliquons une partie au sol avant de faire les billons et après nous appliquons une seconde partie aux tubercules.

Il faut dire qu’avant de garder définitivement cette version de notre engrais, nous avons fait une série de tests et d’essais qui nous ont permis de l’améliorer et de parvenir à ce résultat final.

Nous pensons d’ailleurs le vulgariser en essayant de le produire en plus grande quantité et de le vendre aux producteurs à des coûts très bas. Nous avons de l’engrais sous forme granulée et sous forme liquide.

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TF : Pourquoi préférer votre engrais par rapport à ce qui est déjà sur le marché ? 

AS : Quand vous appliquez notre engrais au sol, cela agit bien entendu sur votre culture. Mais ce qui est intéressant, c’est qu’après la récolte, il continue d’agir dans le sol et vous le remarquerez lorsque vous viendrez faire une autre culture. Cela s’explique par le fait que les micro-organismes contenus dans notre engrais continuent d’exister dans le sol et le nourrissent au contraire de l’engrais chimique qui appauvrit après le sol.   

Si nous comparons le prix de notre engrais bio au prix de l’engrais chimique, vous constaterez un grand écart. Le chimique coûte actuellement 300 ou 350f le kg. Nous, nous pensons vendre le nôtre à 190f le kg après étude de notre compte d’exploitation.

TF : Quel est en termes de bilan, le bénéfice que vous obtenez ?

AS : A l’hectare, on peut obtenir jusqu’à 6 400 000 f  dans l’intervalle de 6 mois. Lorsque vous ôtez le coup de production et les frais annexes, vous avez un bénéfice de 4 millions et quelques.

TF : Vous avez parlé de votre technique de reproduction rapide. Est-ce qu’elle ne comporte pas de marge de défaillance ? Si oui, quelle est-elle ?

AS : 1%. Si vous prenez une planche de mille tubercules fait en pépinières, parfois ce n’est que quatre ou cinq qui pourrissent. Il est déjà arrivé d’enlever près de 400 tubercules sans constater un seul pourri.

TF : Envisagez-vous d’étendre la technique à d’autres localités ?

AS : Les agriculteurs n’avaient pas foi au départ mais lorsqu’ils ont constaté le succès de notre technique, ils m’ont littéralement envahi pour apprendre et le développer dans leurs plantations. J’ai appuyé 14 jeunes qui ont constitué des dossiers au niveau du FAIEJ. Ils espèrent un financement pour développer l’activité.

Donc pour répondre à votre question, oui. Mais cela est soumis au financement du FAIEJ ou de ceux qui voudront bien nous aider. Et l’idéal est de l’obtenir avant Novembre ou Décembre afin que les recherches de tubercules à ensemencer dans la localité puissent commencer. Vu qu’en Avril-Mai, les pépinières doivent être constituées. Nous attendons que le FAIEJ réagisse favorablement et cette exploitation se fera sur tous les sites disponibles de la localité.

Je l’ai fait sur un quart d’hectare et cela a été très productif. Avec le groupe que nous sommes en train de constituer, nous voulons nous entraider afin d’augmenter la production.

TF : Avez-vous entendu parler du MIFA ?

AS : Non pas vraiment. J’ai plutôt entendu parler de TIRSAL. C’est dans mes recherches connexes que j’ai lu MIFA quelque part et c’est d’ailleurs par ce lien que j’ai découvert votre site Togo First et que je vous ai contacté. Donc c’est à vous que je demanderai de m’en dire un peu plus sur le MIFA. (Rires…)

TF : Quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans la production et l’exploitation ?

AS : En termes de difficulté, il y a l’absence de semences. Pour trouver les bonnes variétés à ensemencer, il faut voyager. J’ai dû aller à Anié, à Bassar, à Kpalimé pour sélectionner ces variétés et les inclure dans le lot que je constituais. Et l’année prochaine, ce sera la même chose.

La seconde difficulté est le manque de ressources humaines. Je manque de métayers pour aider à développer l’activité. Mais j’espère qu’avec ces 14 personnes dont j’ai parlé plus tôt, le travail se fera plus harmonieusement et je ne serai plus qu’un simple conseiller technique pour les aider.  

TF : Avez-vous un appel à lancer ?

AS : A tous ceux qui sont intéressés. C’est un domaine méconnu et il serait bien qu’on le vulgarise. Je vous remercie déjà pour votre réactivité et d’être venus nous voir aussitôt. Nous espérons, par votre créneau, prendre attache avec les autorités spécialisées, discuter avec elles pour voir dans quelle mesure elles pourront nous aider.

En 2015, j’ai fait venir l’ICAT (Institut de conseil d’appui technique, ndlr) sur le site. Ils ont pris des photos. Je leur ai fait voir l’exploitation, la technique et la croissance. Mais cela n’a rien donné. Je voudrais que les autorités nous écoutent mieux et que les autres producteurs aussi s’y intéressent.

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TF : A long terme quels sont vos objectifs ?

AS : Faire de la zone de Yoto un centre de production d’igname. Les bonnes femmes de Lomé qui vendent du foufou ou des produits dérivés de l’igname vont à Bassar principalement ou à Anié pour en acheter. Si on crée une zone de production à grande échelle dans le Yoto, ce serait un atout. L’idée est de faire du Yoto, un grenier pour l’igname, et spécialement pour la variété Senyo Yam qui réussit merveilleusement pour le foufou dans cette localité. Ce qui n’était pas le cas avant.

Yoto est une localité qui regorge de nombreuses richesses qui, si elles sont bien exploitées, elles feront le bonheur de beaucoup.

Tenez, je suis aussi apiculteur. Et lorsque je suis arrivé ici, j’ai remarqué un nombre important de palmiers à huile. Or le miel produit par nos abeilles vient en majeure partie des palmiers. J’ai installé une ruche et je tire un minimum de 10 litres de miel pur par an. C’est dire donc que beaucoup de choses peuvent être réalisées ici.

Mon dernier mot est que j’espère qu’à travers cet échange, nos activités pourront être boostées. L’objectif est d’étendre notre exploitation à 14ha d’ici quelques années. Avec l’idée que chacune des 14 personnes inscrites au programme du FAIEJ puisse bénéficier d’un ha et lancer le processus d’entraide pour vulgariser la technique et la variété Senyo Yam.    

Nous prévoyons de trouver un moyen de production à grande quantité de la poudre d’igname qui a de nombreuses applications. Elle sert à préparer le foufou de façon très rapide et sans qu’on ait à piler de l’igname, les boulangers s’en servent pour fabriquer des biscuits, voire une forme de pain.

L’igname est un aliment de prestige et on doit développer sa production partout où c’est possible. En plus, il se conserve bien et pendant longtemps.  

Propos recueillis par Fiacre E. Kakpo & Octave A. Bruce

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