Elsa M’béna BA, la Togolaise qui fabrique des serviettes hygiéniques réutilisables

Gouvernance économique
vendredi, 26 août 2022 18:05
Elsa M’béna BA, la Togolaise qui fabrique des serviettes hygiéniques réutilisables

(Togo First) - Militante, web-activiste, entrepreneure sociale, conseillère technique de Plan International au Togo et au Bénin, patronne d’Auréole Monde, Elsa M’béna BA a plusieurs casquettes. Dans son regard, on découvre rapidement la fougue d’une féministe, prête à défendre les droits des femmes partout, advienne que pourra. Ce combat pour la cause des femmes, elle le mène aussi sur le plan de la santé. De fait, elle a créé une marque de serviettes hygiéniques réutilisables sous la marque Yannis-Lotiyé, qui signifie « double grâce ».  

Dans son atelier situé à Sagbado, une banlieue de Lomé, quelques femmes donnent des coups de pédale aux machines à coudre. C’est le soir et, indifférentes aux caprices et grimaces de leurs enfants, elles se pressent pour terminer certaines commandes. 

C’est ici que sont produites les serviettes hygiéniques réutilisables. Dans la salle, des distinctions sont accrochées au mur, dont un tableau qui rappelle l’un des prix de la francophonie du concours Forum Agora remporté en 2019, au tout début de l’initiative. L’enveloppe financière de ce prix (500 000 FCFA) a permis à la jeune entrepreneure d’acheter ses toutes premières machines à coudre. La même année, l’entreprise sociale Auréole Monde verra le jour. Alors âgée de 31 ans, Elsa M’béna ne s’est appuyée que sur ses propres expériences pour lancer ce projet. « J’avais beaucoup de difficultés lors de mes menstrues. Après une formation sur la gestion de l’hygiène menstruelle, j’ai découvert qu’il existait des alternatives plus saines. J’ai ainsi voulu moi-même les expérimenter, mais je n’en avais pas trouvé sur le marché togolais. J’ai dû les commander mais c’était hyper cher », témoigne-t-elle. Face à cette difficulté, elle décide de fabriquer ses propres protections, après avoir passé trois mois à apprendre à coudre. Une fois l’expérience réussie, elle convainc sa sœur et sa mère, d’autres femmes aussi se rallient à l'initiative.  

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Retour à une vieille tradition

En Afrique, l’utilisation des serviettes recyclables remonte à plusieurs années, mais cette pratique a laissé place aux serviettes jetables qui ne sont pas sans conséquences chez les utilisatrices. Ces conséquences, en effet, sont d’abord d'ordre sanitaire. « Les serviettes jetables que nous utilisons sont fabriquées avec des produits chimiques qui causent des maladies », explique Elsa. En dehors de la santé, l’innovation participe à la protection de l’environnement.  « Une fille ou une femme produit jusqu’à une tonne et demie de déchets liés à ses menstruations. Parmi ces déchets, on retrouve essentiellement des serviettes jetables », ajoute-t-elle. Pour couronner le tout, les serviettes recyclables permettent de faire des économies. « Une fille sur dix en moyenne manquerait les cours trois à cinq jours par mois en Afrique subsaharienne à cause de leurs menstruations. C’est l’Unesco qui l’a dit », précise-t-elle. L’entreprise s’est alors engagée dans le recyclage, à travers la récupération des chutes de tissus dans certains ateliers pour leur donner une seconde vie. 

De la terrasse à un atelier

Au départ, Elsa fabriquait les serviettes à la maison, sur sa terrasse ou dans l’atelier de sa couturière avant de bénéficier des appuis à travers les concours auxquels elle participait. En effet, il y a un an, Elsa M’béna BA a reçu le prix de la meilleure entrepreneure au concours Challenge Startupper de Total Energies. La récompense a permis à l’entreprise d’augmenter sa capacité de production, d'acquérir d’autres outils de travail et d’élargir l’espace de travail. Mais avant ce prix, elle avait remporté plusieurs distinctions dont le prix du meilleur entrepreneur leadership féminin du fonds féministe « Xoese ». Cette cagnotte d’environ 800 000 FCFA lui a permis d’équiper l’atelier.

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Auréole Monde emploie principalement les jeunes femmes en fin d’apprentissage qui manquent de moyens pour ouvrir leurs ateliers. L’objectif est de leur offrir un premier emploi pour leur permettre d’économiser, afin d’ouvrir plus tard leur propre atelier. Pendant ces vacances, l’entreprise s’ouvre à plusieurs filles qui viennent toucher du doigt cette réalité. La société accompagne aussi les victimes de violences sexuelles, sexistes ou conjugales. Pour ce faire, l’entrepreneure a mis en place un projet dénommé « survivantes anonymes » qui permet d’accompagner psychologiquement les survivantes des Violences basées sur le genre (VBG). 

L’entreprise emploie six femmes dont trois à temps partiel. Ici, les femmes ont la possibilité de venir librement au boulot avec leurs enfants. Des babysitters sont même mis à leur disposition.   

Les succès …en chiffres !

Lancée principalement avec pour socle une force de conviction, la marque Yannis-Lotiyé connaît un succès progressif auprès de la cible, les femmes.

En effet, indique la promotrice, environ 3000 femmes utilisent les serviettes Yannis-Lotiyé. Le chiffre d’affaires de l’entreprise a aussi évolué au fil des années. D’un million en 2020, il est passé à 19 millions FCFA l’année suivante, puis à 20 millions à la moitié de 2022. La grande clientèle est constituée d’associations et d’ONG qui achètent le produit et le distribuent dans les milieux ruraux. Les serviettes sont aussi commercialisées au Mali, au Burkina et au Bénin.

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Plusieurs défis restent à relever    

La startup est confrontée à différents défis liés notamment au matériel. Certains outils utilisés dans la production du produit sont importés. Conséquence, au plus fort de la crise sanitaire liée à la Covid-19 et compte tenu de la complexité des formalités douanières, les commandes n’ont pu être honorées, à temps. Elsa M’béna fait également face à une réticence des clientes, habituées aux serviettes jetables. « Une grande campagne de communication avait été faite contre les bouts de tissus traditionnels pour inciter les gens à passer aux jetables. Des publicités ont déconstruit l’utilisation du réutilisable dans la tête de la femme et planté l’usage des jetables. Aujourd’hui, nous faisons le travail en sens inverse », informe-t-elle. Pour cela, elle passe par les réseaux sociaux, spécialement TikTok et son blog pour sensibiliser et « changer les mentalités ».  

Comme perspectives, l’entreprise ambitionne de devenir une multinationale. Dans les dix prochaines années, Elsa veut faire de Yannis-Lotiyé, la marque de serviette réutilisable N°1 en Afrique. 

Mariée et mère de trois enfants dont des jumeaux, celle qui fait de la natation un loisir, a également un faible pour les voyages, la lecture et la découverte des « lieux emblématiques » d’Afrique. « J’ai la réputation d’avoir une grande gueule », reconnaît-elle. L'ancienne basketteuse professionnelle défend ardemment les droits des femmes pour une société plus égalitaire qu’elle appelle de tous ses vœux. 

La rédaction 

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