Pourquoi Ecobank veut lever 250 millions $ en capital hybride malgré un bénéfice record

Finance
vendredi, 30 mai 2025 02:17
Pourquoi Ecobank veut lever 250 millions $ en capital hybride malgré un bénéfice record

(Togo First) - Pour faire face à des pressions croissantes sur ses filiales et consolider ses ratios de solvabilité, Ecobank lance une levée de fonds hybride de 250 millions de dollars, sans dilution immédiate mais avec des risques de dilution à terme pour son petit actionnariat. Et ceci alors que le groupe a décidé de ne pas distribuer ses plus de 400 millions $ de bénéfice record de 2024. 

Après avoir levé 400 millions de dollars en octobre 2024 via une émission d’eurobond à cinq ans, puis 125 millions supplémentaires en mai 2025, Ecobank poursuit le renforcement de sa structure financière avec une nouvelle opération, cette fois sous la forme de fonds propres hybrides.

Le 28 mai 2025, le Conseil d’administration d’Ecobank Transnational Incorporated (ETI), maison mère du groupe bancaire panafricain basé à Lomé, a obtenu le feu vert de ses actionnaires, réunis en Assemblée Générale Extraordinaire, pour procéder à une levée de fonds de 250 millions de dollars. Cette levée prendra la forme d’un instrument de capital Tier 1 (AT1).

Un coussin prudentiel à effet différé

Le groupe ne procède pas à une augmentation de capital classique via émission d’actions ordinaires, clarifie son top management. Il a choisi un instrument hybride qualifié en fonds propres réglementaires, dont la conversion en actions ne serait activée qu’en cas de dégradation significative des ratios de capital, et uniquement à l’initiative du régulateur. Une approche prudente, à la fois défensive et prospective, face à la montée des risques et au durcissement des exigences réglementaires, tant sur le continent qu’au niveau mondial, dans un contexte marqué par les récents soubresauts des marchés financiers.

Ce mécanisme vise à éviter une dilution immédiate pour les actionnaires actuels, tout en donnant de la souplesse financière au groupe.

« Le projet d’émission de capital permettra de renforcer efficacement la base des fonds propres de catégorie 1 de la banque, ce qui améliorera notre ratio de solvabilité et consolidera notre capacité à soutenir une croissance durable de notre bilan », a déclaré Papa Madiaw Ndiaye, président du Conseil d’administration.

« Ce n’est pas un capital ordinaire. Cet instrument hybride est qualifié en fonds propres Tier 1 et ne deviendra dilutif que si nous n’arrivons pas à maintenir nos ratios de capital », explique à l’Agence Ecofin, Ayo Adepoju, directeur financier du groupe. 

Ce mécanisme vise à éviter une dilution immédiate pour les actionnaires actuels, tout en donnant de la souplesse financière au groupe. Selon le plan validé, les titres seront ouverts à 100 investisseurs prioritaires sur la base du principe "premier arrivé, premier servi", puis aux autres parties intéressées.

Selon le plan validé, les titres seront ouverts à 100 investisseurs prioritaires sur la base du principe "premier arrivé, premier servi", puis aux autres parties intéressées.

Malgré un total de capitaux propres consolidés de 1,18 milliard $ à fin décembre 2024 (dont environ 1,02 milliard attribuable aux actionnaires du groupe), Ecobank reste freiné par un report à nouveau historiquement négatif de 1,56 milliard USD (en raison des pertes dans le passé), ainsi que par des effets de change défavorables qui ont réduit la valeur de ses autres réserves. 

« Le capital que nous détenons actuellement soutient notre portefeuille d’actifs existant. Mais pour croître, nous devons l’augmenter », a confié à l’Agence Ecofin Ayo Adepoju. « Nous générons du profit, mais pas encore à un niveau suffisant pour financer seuls nos ambitions de développement. C’est pourquoi nous avons besoin d’un complément externe,» ajoute-t-il.  « L’objectif est de mettre Ecobank en meilleure posture sur le plan du capital, pour accompagner notre croissance future et maintenir la confiance des régulateurs », continue Ayo Adepoju. 

« Le capital que nous détenons actuellement soutient notre portefeuille d’actifs existant. Mais pour croître, nous devons l’augmenter », a confié à l’Agence Ecofin Ayo Adepoju.

ETI entend ainsi préserver sa capacité à financer l’expansion de ses activités – notamment l’intermédiation auprès des PME, des particuliers et des États – dans un environnement bancaire africain où les pressions concurrentielles et réglementaires s’accentuent. 

Pourquoi Ecobank veut se renforcer malgré des indicateurs flatteurs

Pour accompagner sa levée de fonds hybride, Ecobank a dû faire évoluer ses règles du jeu. Lors de l’Assemblée générale extraordinaire, le groupe a obtenu l’amendement de l’article 8.10b de ses statuts, qui jusque-là obligeait tout actionnaire qui franchit le seuil de 24,99 % du capital à lancer une offre publique d’achat (OPA) sur l’ensemble des actions restantes.

imag1Jusque-là la règle obligeait tout actionnaire qui franchit le seuil de 24,99 % du capital à lancer une OPA sur l’ensemble des actions restantes.

Une règle censée protéger les minoritaires d’une prise de contrôle rampante. Désormais, cette disposition ne s’appliquera plus si ce dépassement résulte de la conversion de titres hybrides, comme ceux de l’émission. Autrement dit, un investisseur qui verrait sa part bondir mécaniquement — sans rachat direct d’actions — ne sera plus contraint de déclencher une OPA.

Une dérogation technique ? Pas uniquement. Elle ouvre la voie à une montée en puissance potentielle de certains actionnaires stratégiques — comme le sud-africain PIC (15,03 %), Qatar National Bank (12,48 %) ou même Nedbank (4,45 %) — sans friction réglementaire. Il s’agit de rassurer les souscripteurs et d’éviter tout blocage juridique. Sur place, certains actionnaires y voient un assouplissement qui affaiblit les garde-fous de gouvernance et pourrait, à terme, favoriser une recomposition discrète de l’actionnariat. Un équilibre subtil entre flexibilité financière et pouvoir de marché, que le Conseil d’administration assume comme un passage obligé pour faire entrer ETI dans un nouveau cycle de consolidation.

Mais derrière cette révision statutaire, c’est une lecture plus fine de l’anticipation stratégique du risque qui se profile.

Sur le papier, les ratios de solvabilité du groupe semblent confortables, avec un CET1 supérieur aux exigences minimales dans la quasi-totalité des juridictions, et un Return on Tangible Equity (ROTE) à un niveau record de 32,7 %. « Les ratios d’Ecobank sont bons actuellement, ils semblent bénéficier d’un bon coussin. Ce qui rend d’autant plus intéressante la décision du top management d’anticiper un renforcement via capital hybride », estime un analyste financier basé à Abidjan.

Mais derrière cette robustesse apparente, plusieurs signaux de prudence transparaissent. Environ 70 % du portefeuille de crédits est jugé totalement sain, mais près de 30 % présentent divers degrés de risque, selon le rapport annuel. Et environ 9 % de prêts dits performants sont déjà placés sous surveillance étroite, signe que certaines poches de risque émergent, notamment dans des filiales exposées à une forte volatilité macroéconomique (Zimbabwe, Nigeria, RDC).

Environ 9 % de prêts dits performants sont déjà placés sous surveillance étroite, signe que certaines poches de risque émergent.

« Cela explique en partie la prudence du management. D’autant que les dépôts, qui représentent près de 63 % du passif total du groupe, sont sensibles à toute perte de confiance, surtout dans un environnement où la liquidité peut se tendre rapidement », ajoute la même source.

Retour d’ascension aux actionnaires institutionnels 

Autre élément important : le coût du capital. Ce type d’instrument AT1, bien qu’inscrit en fonds propres réglementaires, n’est pas gratuit. Les deux dernières émissions d’euro-obligations du groupe – 400 millions $ en octobre 2024 et 125 millions $ en mai 2025 – ont servi des coupons supérieurs à 9 %, ce qui donne une idée des rendements exigés aujourd’hui par les investisseurs pour financer le risque africain, même sur un acteur aussi bien noté qu’Ecobank.

«L’AT1 (Additional Tier 1) étant un instrument de capital plus risqué que la dette senior comme les eurobonds, il devrait logiquement offrir un rendement au moins équivalent, voire plus élevé que 10 %, pour attirer les investisseurs», ajoute notre analyste. Une opération qui pourrait créer de la valeur pour certains investisseurs stratégiques, sans nécessairement bénéficier à l’ensemble des actionnaires actuels.

Une opération qui pourrait créer de la valeur pour certains investisseurs stratégiques, sans nécessairement bénéficier à l’ensemble des actionnaires actuels.

« Même si ETI parle de 100 investisseurs stratégiques prioritaires, cela reste un placement privé dans un contexte africain complexe, où la profondeur du marché des AT1 est très limitée. Cela renforce le pouvoir de négociation des souscripteurs. »

Un retour attendu au dividende

Cette levée de fonds vise aussi à créer les conditions d’un retour progressif au versement de dividendes, en dents de scie depuis plusieurs années, malgré des résultats en forte amélioration, rassure le Président du conseil d’administration, Papa Madiaw Ndiaye, qui faisait son baptême de feu. En 2024, le groupe a affiché un bénéfice net record de 494 millions de dollars, mais aucun dividende n’a été versé aux actionnaires d’ETI, au grand dam de plusieurs investisseurs de longue date.

En 2024, le groupe a affiché un bénéfice net record de 494 millions de dollars, mais aucun dividende n’a été versé aux actionnaires d’ETI, au grand dam de plusieurs investisseurs de longue date.

« J’ai investi dans Ecobank dès 1984, je fais partie des fondateurs, mais depuis plusieurs années, nous ne recevons plus de dividendes. Je suis venue vous demander pardon, c’est l’argent de ma retraite », fustige une actionnaire togolaise. « Je ne suis pas venu ici vous féliciter », lance un autre actionnaire, tout nouveau retraité, visiblement irrité.

Papa Madaw Ndiaye a tenté de rassurer les participants : « Notre objectif n’est pas d’éviter les dividendes. Nous voulons les rétablir dès que possible, mais sans compromettre notre solidité financière. » Même son de cloche chez son Directeur Général, Jérémy Awori : «Nous sommes pleinement conscients des attentes de nos actionnaires. Notre ambition est de restaurer la capacité de distribution de dividendes de manière durable.»

Mais le mécontentement reste palpable. Une actionnaire sénégalaise, venue avec une délégation de Dakar, n’a pas caché son scepticisme face à la stratégie du groupe. Il faut dire que le manque de politique de redistribution a un impact direct sur la perception de la valeur du titre.

Et ce, malgré des fondamentaux solides : 22 filiales sur 33 ont versé un total de 217 millions de dollars de dividendes à la société mère en 2024, en hausse de 22 % par rapport aux 178 millions de dollars versés déjà en 2023. Et le ROTE (Return on Tangible Equity) qui mesure la rentabilité nette générée pour chaque dollar de fonds propres investis par les actionnaires a atteint un niveau record de 32,7 %, contre 24,9 % en 2023. Pourtant, la capitalisation boursière du groupe a chuté à 447 millions de dollars au 31 décembre 2024, en baisse de 21 % sur un an, notamment sous l’effet de la dévaluation du naira nigérian.

Pourtant, la capitalisation boursière du groupe a chuté à 447 millions de dollars au 31 décembre 2024, en baisse de 21 % sur un an, notamment sous l’effet de la dévaluation du naira nigérian.

Avec une valeur comptable des fonds propres de 1,08 milliard de dollars, le titre ETI se traite à une décote marquée, soit 0,43 fois sa valeur comptable, selon les données du rapport annuel. Une situation paradoxale, qui continue de nourrir le malaise d’une partie des plus de 600 000 petits porteurs.

Le cas Nigeria : un poids toujours problématique

L’annonce de la levée de fonds intervient alors que certaines filiales, notamment Ecobank Nigeria, continuent de poser problème. Bien que représentant environ 18 % du total des actifs du groupe, la filiale nigériane n’a versé aucun dividende depuis cinq ans et n’a dégagé en 2024 qu’un résultat avant impôt de 5 millions de dollars, contre 345 millions pour la seule zone UEMOA.

Bien que représentant environ 18 % du total des actifs du groupe, la filiale nigériane n’a versé aucun dividende depuis cinq ans et n’a dégagé en 2024 qu’un résultat avant impôt de 5 millions de dollars, contre 345 millions pour la seule zone UEMOA.

Pire : ETI a dû injecter 10 millions de dollars en urgence dans sa filiale nigériane afin de satisfaire aux nouvelles exigences de capital de la Banque centrale du Nigeria, bien avant l’échéance réglementaire de 2026. Le rapport annuel évoque une restructuration en cours, articulée autour de la réduction de l’exposition au dollar, du recentrage stratégique sur les PME et les clients particuliers, et de la digitalisation, avec le lancement d’une nouvelle application bancaire.

Mais les résultats de cette stratégie tardent à se concrétiser, et les coûts exceptionnels restent élevés : 159 millions de dollars de dépréciation de goodwill liée au rachat d’Oceanic Bank, 44 millions de frais juridiques et de restructuration à l’échelle du groupe, et 61 millions de pertes de change principalement dues à l’hyperinflation au Zimbabwe et au Soudan du Sud.

Fiacre E. Kakpo

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