Tarifs mobile money, 5G, ARCEP, questions sociales... Interview exclusive avec Tarik Boudiaf, nouveau DG de Togocom

Télécoms
mercredi, 07 décembre 2022 09:07
Tarifs mobile money, 5G, ARCEP, questions sociales... Interview exclusive avec Tarik Boudiaf, nouveau DG de Togocom

(Togo First) - Défis des opérateurs télécom face aux fintech low-cost, grognes sociales, déploiement de la 5G, relations avec le régulateur, données à caractère personnel…   à l’Africa Financial Industry Summit (L’AFIS) qui s’est tenu les 28 et 29 novembre derniers à Lomé,  Tarik Boudiaf, le tout nouveau Directeur Général de Togocom, a livré pour Togo First, son analyse sur les grands sujets brûlants de l’heure.

Togo First : On a vu Togocom réduire de façon très drastique les tarifs Mobile money, alors que les rumeurs sur l’arrivée de Wave sur le marché enflaient. Qu’est-ce qui explique ces mesures tranchées ? Considérez-vous Wave comme une menace ou une opportunité ?

TB : Il existe deux raisons qui expliquent la réduction des tarifs du Mobile Money par Togocom. D’abord, c’est une façon de se prémunir contre la grande concurrence qui a déstabilisé plusieurs acteurs de la sous-région. Ensuite, c’est un moyen de contribuer à la dynamisation du marché. D’ailleurs, nous sommes devenus le premier opérateur de Mobile Money au Togo, si l’on tient compte de la période allant de novembre 2021 à début 2022.

Togo First : Ce nouveau plan tarifaire vous permet-il toujours de rester rentable ? Ou on est beaucoup plus dans l’adaptation ?

TB : Les deux. Chaque action commerciale que nous déployons sur le marché doit évidemment répondre à une exigence de rentabilité, même si nous avons énormément réduit notre marge tarifaire. Cela permet en même temps d’anticiper la concurrence afin de sécuriser le marché.

Togo First : Dans une économie qui dépend encore fortement du cash, cette révision à la baisse n’est pas sans conséquence sur les points de vente, qui représentent un maillon important de la chaîne de valeur. Certains ont dû fermer. Quel sort réservez-vous à ces acteurs non moins importants ? 

TB : Je dois dire que contrairement à ce qui s’est passé dans d’autres marchés, nous, nous avons observé une croissance des points de vente, malgré ce changement tarifaire à la baisse. Ce qui montre qu’il y a toujours des opportunités de développement. Nous avons l’obligation de sécuriser ce maillon qui permet de créer une clientèle plus large et parallèlement, plus d’emplois.

Togo First : Ce modèle de revenus est-il durable ?

Ce modèle sera durable et fiable si nous l’accompagnons avec de nouveaux services à valeur ajoutée, notamment, les services d’assurance, l’épargne, le crédit, le transfert international, l'interopérabilité, le développement des points marchands sans lesquels sa survie sera difficile.

A Togocom, nous sommes dans un processus de création de nouveaux services pour accompagner les acteurs. Ces services existent et ont déjà fait leurs preuves sur des marchés plus matures que le Togo.

Même s’il fait encore ses débuts, au Togo, le Mobile Money est un service en pleine croissance. Si nous nous référons à l’Afrique de l’Est qui a atteint une maturité déjà avancée, je dirai qu’au Togo et dans la sous-région, il promet de belles années à venir. 

Togo First : Avec le rachat de Togocom en 2019, Axian a promis de déployer un plan d’investissement de 160 milliards FCFA sur 7 ans dans ses infrastructures de connectivité et de nouveaux services à forte valeur ajoutée. Où en est ce plan ? Quel bilan pouvez-vous faire ?

Tarik Boudiaf (TB) : Le deal de la privatisation portait sur plusieurs axes notamment la fusion de Togo Télécom et de Togo Cellulaire, la modernisation de l’infrastructure, l’élargissement de la couverture réseau, l'amélioration de la qualité du service et la dynamisation du service sur le plan de l’amélioration des prix. Ce plan d’actions est suivi de façon annuelle. Toutefois, il faut noter que sur certains aspects, les objectifs ont été largement atteints (la couverture du réseau, par exemple). Sur d’autres, nous sommes en ligne avec les objectifs. Sur certains, on s’en rapproche un peu avec un peu de retard. 

Togo First : Jusqu’ici, Togo Télécom opérait le seul câble sous-marin qui dessert le Togo. Depuis le mois de mars de cette année, le Togo est connecté à un deuxième, le câble Equiano, plus puissant.  Est-ce un concurrent ?

TB : Chaque pays a besoin de sécuriser sa connectivité et son système d’information. Aujourd’hui, Togocom dispose d’un câble qu’il a la possibilité d’exploiter à la fois comme un moyen de sécurité et un moyen de fluidifier le trafic. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l'arrivée d'Equiano est une très grande opportunité pour tous les acteurs présents sur le territoire. En tant qu’entreprise, on le considère plutôt comme une solution de sécurisation de la connectivité pour tous.

Togo First : En novembre 2022, Togocom est devenu  le 1er opérateur de télécommunication à lancer le réseau 5G en Afrique de l'ouest. Plusieurs annonces ont été faites ensuite, indiquant le déploiement sur des sites à Lomé. Depuis, silence radio. Où en êtes-vous avec la 5G ?

TB : Lorsqu’on s’en tient au contexte de déploiement de la 5G au Togo, on comprend qu’elle est destinée à pourvoir le tissu économique d’une technologie de pointe susceptible de faciliter les transactions et les activités digitales des entreprises. C’est pour cette raison que dès le départ, elle fut déployée dans 5 localités réputées pour des activités d'entreprise. Au Togo, la 5G s’adresse d’abord au tissu économique avec une vision de l’étendre plus tard au grand public.

Par contre, les grands défis que nous avons aujourd’hui concernent le coût des téléphones 5G qui est encore très élevé par rapport à la moyenne des prix accessibles à la population. Nous avons aussi des contraintes au niveau de l'ineffectivité de l'installation de la 5G, ce qui relève essentiellement de la volonté des plus grands constructeurs de téléphones (iPhone et Samsung). Selon des procédures internes à eux, cela requiert des procédures différentes de celles des autres technologies. C’est un combat que nous menons depuis longtemps auprès du GSMA [une association internationale qui représente les intérêts des opérateurs de téléphonie mobile dans le monde, ndlr] et des autorités. Nous sommes également en contact avec Samsung et iPhone pour accélérer le processus. C’est en effet un sujet crucial auquel ces géants de la création de téléphones 5G n’adhèrent pas encore.

Togo First : Quid de la question des fréquences … ?

TB : Je rappelle que la 5G est lancée à titre expérimental au Togo avec des fréquences dédiées et gratuites sur cette période expérimentale. Par ailleurs, pour accompagner la 5G sur une échelle un peu plus large, il est clair que tous les acteurs intervenant sur cette technologie devront faire des efforts pour accompagner les opérateurs, d’où le rôle du régulateur qui est d’évaluer la façon d’accompagner les opérateurs sur le volet Fréquence.

Togo First : Vous avez été sanctionnés par deux fois déjà par le régulateur. Quelles sont vos relations avec l’ARCEP ?

TB : Contrairement à ce qu’on croit, nous avons plutôt d'excellentes relations avec le régulateur. Même si nous avions été sanctionnés deux fois, cela ne veut pas forcément dire que nous avons une mauvaise relation. Chacun fait son travail de la façon la plus correcte possible et c’est important que l’opinion publique soit au courant qu’il n’y a pas de conflit entre le régulateur et l'opérateur Togocom. S’il y a des reproches techniques de la part du régulateur, Togocom se donne les moyens de les corriger afin d’avancer.

Ces interventions du régulateur ont sans doute aidé à prendre des mesures idoines telles que l’amélioration de la qualité de service et son déploiement qui est un processus continu. Si un retard est observé, il est normal que celui-ci soit sanctionné. En prenant une telle décision, le régulateur ne fait que jouer son rôle.

Togo First : Vous avez surtout été sanctionné pour la qualité du service. Togocom a-t-il tourné la page de ces désagréments ?

TB : Comme je vous l’ai dit précédemment, l’amélioration de la qualité du service est un processus continu. Il est aussi important de savoir que la privatisation est un héritage lourd à porter et qui nécessite d’être corrigé. Parmi les préoccupations, il y en a qui se règlent à court terme alors que d’autres se font sur le long terme à savoir : revoir le design du réseau, le renforcer, le moderniser et le sécuriser pour qu’il puisse être à la hauteur des attentes du régulateur et de celles des clients. Dans ce sens, j’estime qu’il y a des progrès mais qu’il reste encore beaucoup de choses à faire.

Togo First : En tant que gros collecteur de données à caractère personnel, vous avez sans doute été sollicité pour aider le gouvernement à cibler les populations vulnérables dans le cadre du projet Novissi. On se demande comment ces données ont été fournies ? Quelle est votre sensibilité par rapport à la confidentialité des données personnelles ?  

TB : L’opérateur a l’obligation de la confidentialité des données. Ce point est extrêmement important pour le régulateur et nous en sommes bien conscients. Quant à savoir quels ont été les apports des opérateurs dans le projet Novissi [une aide financière mensuelle aux personnes et aux familles les plus vulnérables pendant toute la durée de l'état d'urgence sanitaire, ndlr], il est important de retenir qu’il s’agit d’une initiative du gouvernement qui a eu besoin des opérateurs pour son accomplissement, surtout dans la partie distribution d’argent aux personnes vulnérables.

Togo First : ça grogne ces derniers mois au sein des syndicats. Où en êtes-vous par rapport à la satisfaction des revendications sociales ? 

TB : Le projet de privatisation incluait la fusion de deux entreprises - Togo cellulaire et Togo Telecom. Cette fusion s’est basée sur 4 grands piliers : la fusion technologique, la fusion légale, la fusion sociale et la fusion commerciale ou administrative. Le processus d'harmonisation des deux structures passe par des sujets divergents au sein même de l’entreprise et des différents syndicats. Depuis 2 ans, il y a eu des avancées par rapport à certains sujets chez Togo Telecom notamment l’alignement des primes… Nous ne pouvons régler tous les problèmes d’un seul coup, c’est un processus continu. Je reviens un peu au même sujet que le réseau, c’est un historique très lourd. Pour le ramener au niveau souhaité, cela nécessite du temps, de la concertation et de la raison.

Togo First : Quelles perspectives pour Togocom ?

TB : Togocom est un grand groupe dont l’ambition est de devenir le plus grand et le meilleur employeur du Togo. Nous poursuivons ces idéaux, en continuant à créer des valeurs ajoutées, à recruter des talents, à développer des plans de carrière à nos employés et à les voir s’épanouir. La deuxième perspective est de devenir un opérateur de référence en ce qui concerne la qualité du service technique et technologique. La dernière est de jouer un rôle prépondérant dans le développement de l’économie numérique du Togo. 

Propos recueillis par Fiacre E. Kakpo

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