Entretien exclusif avec Michel Bagnah, PCA de Téolis

Télécoms
vendredi, 28 juin 2019 17:52
Entretien exclusif avec Michel Bagnah, PCA de Téolis

(Togo First) - Le 22 février 2018, Téolis se lançait sur le marché togolais, mettant fin à plusieurs années d’attentisme aux relents suspicieux. Un nouvel opérateur est né. Sur ses épaules, les attentes d’un marché atypique, capricieux, mû par un seul espoir : voir la connectivité internet et les coûts s’améliorer. Que ne donnerait-il (marché) pour surfer sur le « haut et le très haut débit », tant le concept  est placardé, parfois vendu vainement pour servir les insatisfactions ? Le Pari d’un nouvel opérateur est risqué à court terme et  Michel Bagnah (photo), grand manitou des Télécoms dans l’Hexagone, le sait, mais foncera tête baissée. Au détour  d’un après-midi vernal, Togo First a croisé son chemin. Interview exclusive avec Michel Bagnah, Président du Conseil Administration de Téolis SA.

Togo First : Il y a un an, Téolis faisait son entrée sur le marché togolais des FAI. Que vaut-il aujourd’hui? Quel bilan peut-on dresser de ses activités ?

Michel Bagnah (MB) : En effet. Il y a un an, nous avons été les premiers à démarrer nos activités et les seuls à respecter le délai de lancement strict de 9 mois (GVA et Téolis, à l’obtention de la licence en juin 2017, s’étaient engagés à démarrer leurs activités sous neuf mois, NDLR). Aujourd’hui, Teolis a pris pied sur les différents marchés, à savoir : les entreprises, le grand public et l’international.

Les entreprises apprécient nos offres pour leur fiabilité, leur stabilité et aussi le caractère symétrique de nos installations. Vis-à-vis d’elles, nous avons une position de partenaire, et non pas que de fournisseur de tuyaux, avec ouverture sur une large panoplie de services à forte valeur ajoutée.

Le grand public a été lancé en décembre 2018 et est aujourd’hui déployé dans quasiment tout Lomé, et nos clients sont satisfaits de la promesse tenue quant au débit annoncé, et de son caractère symétrique. Certains nous trouvent cher mais c’est parce qu’ils philosophent sur les débits annoncés au lieu de comparer les débits réellement délivrés.

Enfin, l’international est également largement amorcé en collaboration avec notre partenaire stratégique, c’est-à-dire l’opérateur national.

Togo First : Vous avez lancé fin 2018 l’offre forfait Dream pour les ménages et les start-up. Les frais d’installation fixés à 80 000 FCFA pour des forfaits mensuels allant de 20 000 à 59 000 FCFA. A côté, GVA fournit son box (fibre optique à domicile) de 33Mbps à 30 000 FCFA pour l’installation et 30 autres mille par mois pour le forfait. Comment s’en sort-on sur un marché aussi compétitif avec des multinationales comme Vivendi qui surfent sur leurs expériences dans d’autres pays africains et surtout la présence et la connaissance du terrain de Canal+?

MB : Je vous recommande de revérifier les retours d’expériences africaines auxquelles vous faites allusion. Les investissements nécessaires pour mettre en place, maintenir et sécuriser des infrastructures fibrées, sont colossaux, et vont demander pas mal de temps. Il nous reste et restera encore longtemps pas mal de « délaissés de la fibre », de « déçus de la fibre » qui décident de remplacer ou backuper la fibre, malheureusement pas aussi fiable qu’attendue, en matière de qualité et de bande passante garantie, car on la partage avec tous ses voisins.

Nous prônons la diversité de sources culturelles contre l’enfermement dans une source culturelle unique qui peut être, tout compte fait, hors de prix pour le consommateur moyen. Nous sommes pour la production et la consommation culturelle locale, et nous n’avons pas peur de proposer et soutenir des schémas alternatifs aux modèles issus de l’histoire malheureuse des siècles passés.

Nous ne commercialisons pas les mêmes produits que Vivendi. Ils ont un objectif qui est le leur, nous avons le nôtre, et je pense  qu’il y a de la place pour tout le monde dans l’écosystème togolais. Ils sont sur de la fibre. Parce que pour faire de l’audiovisuel, il faut faire de la fibre. Teolis par contre, est  purement sur de la connexion. Nous savons répondre à des gens qui sont en ville ou dans le monde rural. Je dirai que nous sommes complémentaires et ne ciblons pas le même segment de marché.

Togo First : Faire le corporate avant les ménages. Une stratégie payante ?

MB : Cette stratégie était indispensable car nous avions besoin d’une partie des flux de trésorerie du Corporate, moins gourmand en investissement, pour financer les infrastructures grand public, nous permettant de remplir nos engagements auprès des autorités et servir le grand public sur le Grand Lomé en 2019.

Togo First : Le prix de vos offres minimum est à 20 000 FCFA. On sent un décalage entre les capacités du marché que vous ciblez et les offres que vous proposez. Vos forfaits ne semblent-ils pas échapper au Togolais lambda ?

MB : Certes, nos forfaits commencent à 20 000 FCFA, mais pour 4 Mbps. Cela veut simplement dire que le méga est à 5 000 FCFA. Avec 1Mo, vous faites déjà des mails. Nous  commençons à ce prix parce qu’aujourd’hui, les gens veulent par défaut 4 Mbps. Il y a peu de clients qui demandent le Mbps.

Alors est-ce trop cher ? Aujourd’hui dans les retours clients, à qualité équivalente, ce n’est pas cher.

La question sera peut-être mise en réflexion quand nous aurons fini d’installer les clients qui payent 20 000 FCFA. Actuellement, il y en a beaucoup qui souscrivent. Il y a de très bons retours. Les abonnés sont contents. Les clients qui sont prêts à payer 20 000 sont assez nombreux. Notre préoccupation est moins de baisser les prix que de nous déployer sur tout Lomé et d’être sûrs que tous les quartiers sont bien desservis. Tout Lomé y compris la périphérie. Parce que c’est bien plus là-bas que la demande est forte.

Togo First : Vous confiez à la presse un plan d’investissements de 3 milliards FCFA sur les cinq prochaines années. Où en est-on dans sa réalisation ?

MB : On est déjà dans le plan. Nous avons prévu d’investir progressivement. A ce stade, nous avons mis en place un centre réseau. On a deux nœuds, un dédié aux entreprises, le second au grand public. Nous avons installé des secteurs dédiés aux entreprises au niveau de notre centre technique. Il y a aussi quatre secteurs dédiés au grand public

Dans la région de Zanguéra on a installé un Pop (point de présence) et aussi à Agoè, pour couvrir toute cette partie de Lomé. Celui de Baguida est en cours. Une fois achevé, tout le Grand Lomé serait couvert.

C’est un premier niveau d’investissement. Téolis a aussi beaucoup investi en logiciels en interne pour piloter ses activités, les activités Télécoms étant très coûteuses. Vous n’êtes pas sans savoir que le paiement de la licence d’exploitation en tant qu’opérateur n’était pas donné. Toutes ces dépenses font partie du plan d’investissement qui va s’accélérer.

Ce qui reste à faire, c’est surtout l’intérieur du pays. L’engagement de couvrir  l’intérieur du pays reste entier. Il reste aussi à ajouter des services à valeur ajoutée qui sont demandés par nos clients. La télésurveillance par exemple, des packages Microsoft, de la cybersécurité, nous sommes pas mal sollicités sur ces segments.

Nous travaillons également sur l’observatoire de la transformation digitale. De quoi s’agit-il concrètement ? Avec l’observatoire, nous  proposons aux entreprises de se faire benchmarker par rapport à leur niveau de transformation digitale pour voir si elles sont en retard, au bon niveau ou en avance. On fait ensuite des recommandations pour les amener à atteindre la moyenne de la transformation digitale des entreprises togolaises. C’est un projet que nous pilotons en partenariat avec le magazine Cio-Mag.

Togo First : Microsoft, conseil en intégration digitale…Visiblement, Téolis semble  glisser du terrain de la fourniture d’internet pour des activités de consulting

MB : Teolis n’a pas pour objet d’offrir des activités de conseil mais reste à l’écoute de ses clients afin de mobiliser son réseau de partenaires, et apporter la combinaison de réponses la mieux adaptée. Le partenariat avec Microsoft a pour but de répondre aux besoins bureautiques et collaboratifs de nos clients, en plus de la connectivité. Cela relève d’une demande de certains clients et nous permet d’apporter une réponse globale et complète.

En ce qui concerne le consulting, nous venons d’annoncer le lancement de Vitalis, une nouvelle structure en conseil et intégration digitale. Vitalis est une entreprise de droit togolais et d’actionnariat majoritairement togolais, qui aura pour vocation d’assurer des prestations de conseil et d’intégration afin d’accompagner la transformation digitale des entreprises africaines.

Elle couvre justement ce segment qui n’est pas l’activité principale de Téolis. Concrètement, Vitalis sera en mesure d’accompagner ses clients, tant sur des prestations de conseil stratégique, de conseil métier, que d’assistance au pilotage de projets de toutes sortes, et plus généralement d’assistance à la maitrise d’ouvrage. Ce qui parait encore plus intéressant, c’est l’originalité de cette entité qui repose sur une gouvernance à forte expérience acquise sur des grands projets réalisés en Europe et qui aura la charge d’encadrer et de former des consultants locaux.

Togo First : alors que vous étiez positionnés sur la technologie 4G (FH/LTE), vous annonciez il y a quelques mois un partenariat avec la CEET. Cet accord devrait vous permettre de déployer la fibre optique à Lomé. Pourquoi un tel basculement et où en êtes-vous dans le déploiement de la fibre optique ?

MB : Nous privilégions toujours la technologie FH qui offre aujourd’hui des possibilités de moins en moins éloignées de celles de la fibre. Notre partenariat avec la CEET avait pour objet de nous mettre au même niveau que nos homologues, et de répondre à des demandes ponctuelles de certains de nos clients. L’ambition n’est pas de couvrir Lomé de fibres.

Togo First : le gouvernement a lancé depuis fin 2018 l’ouverture partielle du capital de l’opérateur public. Avec votre manteau de patron de Téolis, comment appréciez-vous cette opération et que peut-elle apporter à votre start-up ?

MB : C’est une excellente initiative qui devrait donner les moyens à l’opérateur national d’accélérer la couverture du territoire par son réseau fibré, afin de permettre à des fournisseurs de services comme Teolis de partager une infrastructure plus complète, à des coûts plus optimisés.

Il y a d’autres initiatives portées par le gouvernement, qui permettront certainement d’améliorer l’écosystème. Par exemple, bien que nous n’ayons pas été impliqués dans la conception du Carrier Hotel, nous en serons potentiellement utilisateurs si les prix sont intéressants.

Togo First : Comment peut-on améliorer la qualité de l’internet au Togo ?

MB : On y travaille. Tout ne peut se faire en un jour. Je pense qu’il faut optimiser les prix d’accès à la capacité et c’est en cours. Il y a des discussions aujourd’hui. Les prix publics ont baissé mais les prix d’accès à la capacité internationale, non. Du coup, les opérateurs sont pris en sandwich. La baisse des prix favorisera plus d’investissements et de déploiements.

Il faut aussi travailler la collaboration entre les opérateurs. A Téolis, nous n’avons pas pour stratégie de faire des infrastructures, par contre on doit pouvoir partager l’infrastructure qui est faite par les autres. C’est-à-dire que si j’ai un client dans un quartier qui est fibré par Togo Telecom, je dois pouvoir passer par leur réseau pour accéder à des prix optimisés.

Togo First : Si vous deviez faire le portrait du marché togolais, du haut de vos 12 mois d’expérience, que diriez-vous ?

MB : Le marché togolais s’est significativement transformé depuis quelques années avec l’arrivée des nouveaux FAI, ce qui constitue sans discussion un premier grand succès, avec la diminution drastique des coûts de connexion. On observe également une consommation de plus en plus forte de contenus avancés, avec de nouvelles contraintes de cybersécurité, induites par le haut débit.

Nous nous adaptons donc en apportant également des contenus audiovisuels « benchmarkés » par rapport aux appétences des populations togolaises locales et éloignés, des services à valeur ajoutée, mais également un accompagnement à la cybersécurité. Nous pensons que le monde rural va se développer significativement dans les années à venir, en cohérence avec les initiatives nationales, et qu’il est important que nous adaptions nos services, à cette nouvelle demande.

Interview réalisée par Fiacre E. Kakpo

 

Téolis a également lancé en 2018 une fondation éponyme dont le but est de soutenir et d’accompagner des projets dans le domaine de l’Education, la Culture, la Santé, le Sport et l’Environnement et les milieux ruraux. A cet effet, le fournisseur d’accès internet consacre 1% de ses redevances au financement des projets de ladite Fondation.

 

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